« Mais c’est de l’humour ! »

Il se trouve encore des gens, parfois complètement intégrés dans le « paysage médiatique », pour défendre Dieudonné, qui serait « victime de l’ambiance de l’époque ». Soi-disant Desproges et Coluche faisaient des trucs qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui, qu’ils ont pu faire des blagues sur les Juifs sans susciter les mêmes réactions que Dieudonné.

Sauf que Desproges ou Coluche n’ont jamais invité des nazis dans leur théâtre1 (ou alors pour leur faire un procès) ont toujours entretenu une large distance avec l’extrême droite, quand Dieudonné s’y est complètement intégré. Lorsque Coluche a fait sa campagne présidentielle et s’est rapproché du poujadiste Gérard Nicoud , ça lui a déjà un peu flingué son projet (qui n’était déjà pas forcément sérieux) et ça lui a été reproché. Et pourtant ça restait très soft par rapport aux fréquentations de Dieudonné.

Ce que tu ne comprends pas Alexandre Astier, c’est que Dieudonné ne peut pas être considéré, comme tu le voudrais « uniquement pour ce qu’il fait sur scène ».

« La quenelle », à vomir…

Il ne se contente pas de faire des salut nazis « pour rire » sur le plateau de Fogiel mais aussi en vrai, avec cet élégant détournement de la « quenelle » que l’on « glisse ». C’est à dire qu’on pointe le bras vers le bas et qu’on en simule l’introduction dans l’anus, façon de dire « et ouais je fais un salut nazi mais pas complètement donc je te le mets profond » (« Glisser une quenelle » peut aussi signifier avoir réussit à faire passer un sous-entendu anti-sémite dans un média sans être trop explicite et donc inattaquable2 ou plus généralement faire un sale coup à quelqu’un) . Salut repris par avec enthousiame au sein de l’extrême-droite politique admiratrice de Dieudonné (Soral, Le Pen…) ainsi que ses nombreux fans. Il est également fait de façon plus surprenante par les sportifs Tony Parker ou Teddy Riner. Mouloud Achour, avait quant à lui déclaré prévoir une petite « quenelle » (pourtant dans un clash contre Jean-Marie Lepen)3. Savaient-ils de quoi il s’agissait exactement ?

Quenelle1

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Quenelle3

Quenelle4

Quenelle Teddy Riner

Quenelle Tony Parker

DieudoNoahTweet

Yannick Noah ne fait pas le salut de la Quenelle mais s’affiche hilare en compagnie de Dieudonné après avoir visiblement assisté à son spectacle (Tweet de Dieudonné le 22 mars 2013).

Coluche et Desproges ne sont pas allés à Téhéran rencontrer Mahmoud Ahmadinejad avec Yahia Gouasmi ; ni à Damas rencontrer Manaf Tlass avec Meyssan et Chatillon. Ils n’ont pas fait financer leurs films par l’Iran.

Dieudonne Iran

Ils ne s’affichent pas au quotidien avec Alain Bonnet de Soral, bourgeois prétendument punk et ex-PCF auteur de pamphlets et vidéos franchement racistes et antisémites, machiste et antiféministe notoire qui justifie le viol dans « Sociologie du dragueur ». Coluche et Desproges n’ont jamais émis l’hypothèse (dans le cadre tout à fait sérieux d’un entretien chez Ardisson le 11 décembre 2004) que le Sida était « une invention [peut être des Israëliens « il faudrait faire une enquête »] pour anéantir le peuple noir d’Afrique»

Non, Coluche comme Desproges se sont contentés de faire de l’humour, des chroniques, pas toujours drôles, un peu de bienfaisance, ou des expériences politiques bancales mais toujours très loin des fréquentations que peuvent être celles de la galaxie Dieudonné.

Et non Dieudonné n’est pas « interdit de médias » parce qu’il est noir et qu’un noir ne pourrait pas dire ce qu’il veut (sa défense victimaire favorite). Il suffit de voir les sketchs (franchement pas drôles d’ailleurs) débordant de sexismes et de clichés de Cavannagh, la déclaration de Fabrice Éboué sur le féminisme4, ou encore le bon gros dérapage raciste anti-asiatique de Thomas Ngijol chez Ruquier le 16 octobre 2010. Parce que ce contenu (ni drôle, ni innocent) n’est pas érigé en vérité ni défendu via une organisation, parce qu’un comique est là dans le rôle du beauf et du bouffon, et non théoricien ou bailleur de groupes fascistes.

Ça ne veut pas dire qu’un humoriste ne peut pas à l’occasion être engagé, faire de la politique (même si ils ne sont généralement pas bons), cela veut dire que, lorsque l’on chemine avec des groupes antisémites, racistes (comme Kémi Séba5 ou Thomas Werlet6 ), on ne peut pas prétendre ensuite que ses sketchs sur les Juifs, son ovation à Faurisson, serait juste « de l’humour borderline ».

Si un jour on voit Cavannagh ou d’autres traduirent le contenu beauf/raciste/sexiste de leurs sketchs dans leurs quotidiens, si on les voit se rendre à des manifs racistes/sexistes/homophobes, à la fête Bleu-Blanc-Rouge , donner des interviews au journal fasciste Rivarol ou faire baptiser leurs enfants dans une église intégriste, on ne les verra différemment. Idem si ils faisaient applaudir sur leur scène un individu condamné pour négationnisme.

Dieudonne sioniste plutot que juif
« Je ne prononce pas le mot juif. Après mes différents procès, j’ai compris qu’il pouvait y avoir interprétation sur ce mot alors que sur sioniste, il n’y a pas d’interprétation possible. » Dieudonné, 2005.

Finalement qu’importe que Dieudonné ait ou non du talent, qu’il fasse rire des milliers de personnes.

On s’en fiche. Il est clair que Dieudonné ne peut prétendre faire « juste de l’humour ». A travers ses spectacles, ses films, et surtout avec ce qu’il développe autours (politiquement : liste « antisioniste », soutien à Kemi Seba pour son procès, séjour avec les dignitaires antisémites de régimes dictatoriaux), Dieudonné est aujourd’hui avant tout un militant d’extrême droite. Et depuis longtemps maintenant.

Il serait temps que Alexandre Astier, Tony Parker, Teddy Riner, Pierre Menès7, Bruno Gaccio8, Mouloud Achour, Yannick Noah et d’autres s’en rendent compte.

1 Thomas Werlet, leader du groupuscule néonazi « Droite-Socialiste » participe à une conférence avec Dieudonné et le centre Zara au Théâtre de la Main d’or. Le Service d’ordre de la « Droite Socialiste » était assuré par le groupe « Nomad88 » une bande de Boneheads nazis condamnés dans le mitraillage d’une cité dans l’Essone.

2 Taper « Glisser une quenelle » dans un moteur de recherche donne un aperçu édifiant.

4 « Le féminisme, c’est pas seulement des femmes autoritaires ou des mal-baisées, c’est aussi des lesbiennes ! »

5 Accueilli pour sa prestation « Politik Street Show : Sarkophobie » au Théâtre de la Main d’or de Dieudonné en 2007

6 Cf 1ère note

7 « Le meilleur, c’est Dieudonné » déclare-t-il, quoiqu’un peu géné, sur France 4 le 18/11/10

8 Auteur avec Dieudonné (qu’il soutient) du livre « Peut-on tout dire ? »

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9 commentaires pour « Mais c’est de l’humour ! »

  1. O.P.I.A.M. dit :

    Bon, d’accord, Dieudonné est un nazi, mais je me battrai jusqu’au pour que blablabla Voltaire blablabla liberté bla démocratie bla points de vue contraires blabla dictature blablabla Orwell.

    • Ash dit :

      Voltaire, sous des noms d’emprunts, appelait à la mort de Jean Jacques Rousseau…

      • luc n. dit :

        à quoi on peut encore ajouter que Voltaire se battait contre une foi -celle de monsieur le curé- qu’il désapprouvait totalement, mais dont il considérait que les auteurs étaient de bonne… foi : on renonce à imaginer ce que… Voltaire aurait pensé des microcéphales négationnistes, qui de voient déjà s’abriter derrière son nom !

  2. Prolklass dit :

    Les partisans de la « liberté d’expression » (pour la barbarie) et de la défense républicaine de la figure innocente du « comique » sont les idiots utiles du fascisme. Appelons un chat un chat. Qui plus est, eux qui aiment voir des complots partout ne se gênent pas pour être financé par des dictatures. Et leurs origines sont la plupart du temps hautement bourgeoises (Bonnet De Soral, Dieudonné et ses arnaques au fisc,…) Que du beau monde. Bizarrement quand il y a des révoltes populaires on les entend tout de suite beaucoup moins soutenir le mouvement ou se bouger pour le faire connaitre, sauf si il est à l’autre bout du monde et ne les menace pas!
    Enfin bon ne les voir (presque) que sur les plateaux télés nous fait des vacances sur les zones de lutte…

  3. Comme quoi les mots de Desproges devant Le pen restent plus que jamais d’actualité : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ! »

    • luc nemeth dit :

      vous avez bien de la chance, Aurélien Roulland, si Dieudonné vous fait « rire »… C’est bien sûr d’abord parce qu’il s’agit d’une merde antisémite, que ses propos sont condamnables. Mais en plus de ça, contrairement à ce qu’insinue quelque peu maladroitement cet article : il n’est même pas drôle.

  4. Ping : Racisme | Pearltrees

  5. Guilps dit :

    La différence entre un Coluche et un Dieudonné réside surtout dans la signification du cadre. Coluche ou Desproges savaient mettre en évidence les moments où il s’agissait d’un sketche et les moments où il s’agissaient d’un discours. C’est précisément en semant la confusion sur ce plan là que Dieudonné, plus qu’exprimer un discours construit et politiquement cohérent, a rempli son théâtre. De ce point de vue la démarche de Dieudonné est donc plus liée à une concupiscence monétaire qu’à une opinion politique. C’est d’ailleurs un phénomène qui semble assez répandu dans « l’usage de la liberté d’expression » : Charlie hebdo en est l’exemple appliqué à la presse où ça n’est plus la critique sociale qui est importante mais bien vendre des kilos de papiers imprimés en faisant des dessins qui touchent à un discours polémique. Le procédé souvent utilisé est de déplacer le débat de son objet à sa place médiatique : Charlie parlent plus de sa propre liberté de se moquer des bourkas que du débat complexe du port de la bourka. De même Dieudonné parle plus des soi-disant complots dont il est victime et de sa privation de liberté individuelle que de questions réellement politiques (liée à la polis, à la cité, la collectivité). En réalité il y a tout autant de liberté d’expression aujourd’hui qu’avant, si ce n’est plus avec l’Internet : personne ne peut être totalement « privé de médias » sauf à être privé de liberté de circulation, n’importe qui publie ce qu’il veut sur internet en deux minutes. Le débat sur la liberté d’expression est par contre, comme tout sujet polémique, une source potentielle de profit.
    Si l’on se bat pour que la liberté d’expression soit préservée et que même son adversaire politique puisse élever sa voix, on peut aussi se battre pour que cette liberté d’expression ne devienne pas un produit marchand ou une simple source d’argent.

    • Après on peut se demander si la motivation de Dieudonné est essentiellement monétaire ou franchement politique. Il remplit des salles (son théâtre mais aussi des zéniths), vend des DVD, des BDs etc, c’est un fait… Mais en l’occurrence si son business est rentable, c’est parce qu’il a des relais et de l’argent du régime Iranien par exemple (qui a financé son film « l’Antisémite », qui n’aurait jamais pu être produit et exploité de la même façon sur fonds propres). Sans ce genre de ressources, même avec une popularité qui est bien là, ça serait moins facile pour lui.
      Par ailleurs, il était très bien intégré (et reste d’une façon encore présent) dans l’appareil show-bizz (il conserve quelques entrées et quelques contacts chez bien des peoples, comme le montre cet article). Du coup, sans son « virage facho », il aurait pu continuer à faire une grosse carrière sans son étiquette « infréquentable » et enchaîner les Ruquier-Ardisson-Denisot voire le Téléthon-Sidaction-Enfoirés. On peut donc légitimement supposer que son parcours « underground » est largement motivé par une idéologie fasciste qu’il a développé. Cela-dit, il réussit, en bon commercial, à tirer de bon profits de sa position de « bannit », qu’il met en scène comme personne. La victimisation et l’invocation du droit au racisme sous couvert de liberté d’expression ont donc de beaux jours devant elles. Et c’est clair que Dieudonné n’en a rien à foutre de « la liberté d’expression en soit » du moment que LUI peut dire ses conneries (du coup il ne voit pas de problème à visiter ces grands pays « libres » que sont l’Iran, la Syrie, la Lybie sous Kadhafi, qu’importe la répression et le nombre de prisonniers politiques) et surtout du moment qu’il remplit SA gamelle.

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